Audit ou conseil ? Une pluridisciplinarité essentielle à l’intérêt général

Le 8 février 2023 | Audit ou conseil ? Une pluridisciplinarité essentielle à l’intérêt généralLe 8 février 2023 | Le sujet de la séparation de l’audit et du conseil revient dans l’actualité de notre industrie. Mazars place depuis toujours l’indépendance de l’auditeur et la qualité de l’audit au cœur de sa mission, et à ce titre, nous pensons que la question de la gestion des conflits d’intérêt entre les activités d’audit et celles de conseil mérite une solution réfléchie et nuancée. La séparation totale des activités d’audit et de conseil nous semble être une approche à la fois radicale, non nécessaire, peu réaliste, et de nature à appauvrir la qualité de l’audit - financier comme extra-financier. 

Par Hervé Hélias, PDG du Groupe Mazars 

Au contraire, la pluridisciplinarité, c’est-à-dire la possibilité de proposer des services d’audit et de conseil, dans le respect des règles émises par les régulateurs, présente plusieurs vertus : pour les entreprises auditées, c’est un gage de pertinence et de qualité ; pour le marché et l’intérêt général que défend notre profession, c’est la condition de la pérennité des auditeurs et de l’attractivité des meilleurs talents. L’adoption de la CSRD qui rend obligatoire pour de nombreuses entreprises dès 20241 une assurance sur l’information ESG publiée, nécessite une expertise de conseil sur des sujets d’une grande technicité tels que la biodiversité ou l’impact environnemental. Cela renforce encore le besoin d’une collaboration fluide et vertueuse entre les experts de métiers ou filières (qui maîtrisent les enjeux opérationnels de chaque décision stratégique) et celles ou ceux qui certifient la conformité de ces opérations. Autrement dit, s’il est impératif que l’auditeur ne doit pas certifier un conseil qu’il a lui-même prodigué, l’auditeur doit pouvoir bénéficier des savoirs nécessaires à sa mission.

Nous voyons ainsi quatre raisons d’encourager la pluridisciplinarité des cabinets d’audit et de conseil :

Pas d’audit financier de qualité sans expertise métier, secteur ou fonctionnelle.

L’audit financier pur, seul, hors de toute expertise fonctionnelle ou sectorielle, reste un concept théorique, voire inopérant. La complexité des audits requiert des compétences sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise. Pour certifier des comptes, il faut intiment comprendre les spécificités des produits ou services produits par une entreprise, le fonctionnement que cela induit, les marchés sur lesquels elle est en concurrence, les logiques des opérations qu’elle entreprend… Cela requiert des expertises et des spécialistes qui sont indispensables à la bonne analyse des flux et des décisions, et qui nourrissent un jugement informé de l’auditeur qui signe les comptes. Vouloir séparer les auditeurs des conseillers experts des métiers, des secteurs, ou des fonctions, c’est prendre le risque d’appauvrir la qualité des audits.

Les cabinets d’audit ont besoin de compléter les compétences des auditeurs par des spécialistes aux compétences spécifiques comme par exemple, des actuaires pour auditer des plans de pension ou des fiscalistes, pour l’audit de prix de transfert. Ces spécialistes qui composent nos effectifs ont pour point commun l’excellence de leur formation, la richesse de leur parcours, ainsi que la capacité avérée à appréhender des environnements souvent internationaux, complexes et riches en particularités.

De plus en plus, l’audit financier requiert l’appui d’experts aux compétences toujours plus variées et pointues, voire de niche, dont certaines n’existent peut-être même pas encore à ce jour : des experts sectoriels maîtrisant la technicité de certaines industries, par exemple : des spécialistes en blanchiment ou financement du terrorisme  et de risques bancaires ; des professionnels de l’intelligence artificielle en mesure d’auditer des systèmes d’information sophistiqués aux algorithmes complexes ; des spécialistes du web 3.0 ; des informaticiens capables d’identifier des risques de cyberattaques toujours plus redoutables ; ou encore des experts en environnement pouvant vérifier la conformité de certaines entreprises industrielles avec des réglementations européennes ou internationales (comme la CSRD en Europe) dont les échéances quasi-simultanées arrivent à grands pas. A lui seul l’audit ESG demandera à court terme une pluralité d’expertises techniques capables d’analyser des données nouvelles régies par des réglementations très spécifiques (en matière de biodiversité ou d’impact environnemental, par exemple).

En somme, la pluridisciplinarité est endémique : le conseil est un partenaire intime et précieux de l’audit, et le sera de plus en plus.  La réunion dans une même entreprise de professionnels de haut niveau dans ces deux grands métiers est une richesse, tant pour les auditeurs que pour les entreprises auditées. Elle renforce l’équipe d’audit, qui puise dans l’expérience de ses collègues ; mais surtout, elle apporte une véritable valeur ajoutée aux entreprises auditées, dans la mesure où c’est précisément l’accès à ce panel de spécialistes, capables de fournir des clés de lecture pour décrypter des problématiques métiers complexes, qui permet la qualité et la finesse d’analyse des audits menés par les firmes pluridisciplinaires.

De surcroît, cette fertilisation est croisée car les consultant(e)s qui fournissent des services à des entreprises non auditées, sur des sujets tournés vers l’avenir, anticipent les transformations que leurs clients vont devoir mener, et diffusent ainsi dans les cabinets une ouverture d’esprit et une dynamique d’innovation propices au renforcement des pratiques. Réciproquement, la culture de qualité et de rigueur inhérente aux activités d’audit apporte un gage de qualité aux services de conseils.

Pas d’audits de qualité sans talents de qualité

La pluridisciplinarité est indispensable à la fidélisation et l’attraction des meilleurs talents. Plus les spécialistes appelés sur les missions d’audit sont compétents et expérimentés, plus il est probable qu’ils aient envie d’exercer une activité de conseil, où ils pourront résoudre des problématiques techniques et complexes d’autres entreprises. Par exemple, il y a de fortes chances qu’un auditeur qui réalise un excellent audit de Sapin 2 pour un groupe aura construit une compétence telle que son expertise sera recherchée par d’autres entreprises, non liées par un mandat d’audit, pour les aider à améliorer leur dispositif Sapin 2. Pourquoi priver les entreprises de cette expertise de conseil, dès lors qu’elles ne sont pas clientes du cabinet ou que le cabinet n’est pas engagé par une mission d’audit avec elles ?  Cet échange de savoirs et d’expériences entre les métiers est un gage de fidélisation des talents. Priver des professionnels talentueux de cet enrichissement et limiter leurs contributions à un seul métier, c’est prendre un risque de les voir déserter l’audit pour des activités de conseil.

De même, les ponts qui existent entre audit et conseil au sein d’un même cabinet constituent un atout pour attirer de jeunes talents. C’est précisément en raison de cette promesse de pluridisciplinarité qu’ils choisissent nos métiers qui proposent une expérience diversifiée, intellectuellement stimulante sur le long terme, riche de différentes opportunités et permettant de vivre plusieurs vies professionnelles. Les jeunes diplômés appellent de leurs vœux cette diversité, fuient les parcours monolithiques - la pluridisciplinarité est donc indispensable à l’attrait de ces talents !

L’enjeu est de taille : remettre en cause cette pluridisciplinarité des cabinets contribuerait à accélérer la désaffection des jeunes diplômés pour le métier d’auditeur.  Dans un contexte de pénurie de talents, cette baisse d’attractivité de la profession pourrait entraîner une possible pénurie de collaborateurs en audit et faire peser sur les organisations à un risque majeur, déjà observable dans d’autres pays : une pénurie d’auditeurs.

De l’audit au conseil : la promesse de pérennité après la rotation des auditeurs

Aujourd’hui, une organisation peut voir ses comptes certifiés par un même commissaire aux comptes sur une période allant jusqu’à 24 années consécutives avant de devoir mettre en œuvre une rotation obligatoire du cabinet d’audit. L’auditeur et les experts qui l’accompagnent vont ainsi accumuler une connaissance profonde de l’entreprise, de son fonctionnement, de ses processus et de ses marchés. Lorsque le mandat d’audit prend fin, ce capital de connaissance représente un atout exceptionnel pour l’entreprise qui cherche à se faire accompagner sur des projets d’amélioration de performance ou de développement. Les équipes du cabinet d’audit sortant deviennent naturellement des conseillers très pertinents pour ses opérations ou questions stratégiques. Pour les entreprises, une collaboration inscrite dans la durée est une richesse. 

Cette collaboration de long terme apporte à la fois la stabilité et une certaine économie d’apprentissage, lequel n’est plus à faire si, à l’issue du mandat d’audit, le client satisfait de son cabinet pluridisciplinaire souhaite lui confier une mission de conseil.

Enfin, plus les experts des équipes d’audit sont compétents, plus il est probable que les organisations auditées souhaitent les solliciter de nouveau, à terme, pour résoudre des problématiques à adresser dans le cadre d’une mission de conseil une fois le mandat d’audit achevé. Opérer une scission des activités reviendrait à priver les entreprises des bénéfices évidents d’une collaboration de très long terme. Un temps de formation et d’expérience précieux et unique en son genre que rien ne peut remplacer.

Une pluridisciplinarité vertueuse, dans une stratégie d’équilibre, au service de l’intérêt général

Pour garantir l’indépendance des auditeurs, sans sacrifier la pluridisciplinarité indispensable à la qualité de nos missions et l’attraction des meilleurs talents, il existe aujourd’hui des solutions qui, si elles sont respectées, permettent à nos cabinets de parfaitement bien gérer les conflits d’intérêt. Voici trois principes fondateurs d’une alchimie vertueuse entre pluridisciplinarité et indépendance :

1. Tout d’abord, il faut rigoureusement respecter les règles d’indépendance de l’auditeur2 et construire des systèmes de prévention et de contrôle qui permettent d’exclure tout risque d’atteinte à sa totale indépendance. C’est la clé de voute de toute stratégie de pluridisciplinarité et une question de sécurité pour les émetteurs et leurs comités d’audit. Des solutions existent, et l’on peut s’inspirer des bonnes pratiques internationales. Au sein de Mazars, nous privilégions une approche qui définit clairement les activités « compatibles » et les missions précises qu’un cabinet d’audit peut fournir à une entité auditée en plus de la certification des comptes.

2. Il est important de penser la pluridisciplinarité dans le temps : le cabinet doit définir une stratégie qui garantisse à long terme un bon équilibre entre les métiers de l’audit et du conseil. Si un déséquilibre se crée entre ces deux grandes activités, il porte en lui un risque de scission en raison de ruptures d’équilibres dans le partage de la valeur entre les métiers et/ou de leurs reflets dans la gouvernance. Dans un marché du conseil qui croît beaucoup plus vite que le marché de l’audit, il est critique de se fixer une double ligne de conduite :

  • Être sélectif dans les activités de conseil à développer : il n’est pas souhaitable de s’engager sur des terrains qui requièrent des stratégies de volumes et créeront naturellement des déséquilibres. Par exemple, il faut éviter les activités intrinsèquement porteuses de conflit d’intérêt. Mazars a ainsi historiquement fait le choix de développer des expertises de conseil fortes et cohérentes autour de l’audit financier, notre cœur de métier. Nous avons capitalisé sur des savoir-faire « non conflictuels » car fondamentalement utiles à la qualité des travaux d’audit tels que : la conformité réglementaire, le contrôle interne, la gestion des risques, la réglementation bancaire et assurantielle, la lutte contre la corruption. Depuis une dizaine d’années, notre pluridisciplinarité s’est étendue notablement à mesure que les environnements de nos clients ont muté, si bien que notre panel d’expertises s’est élargi à d’autres compétences, qui restent en lien, parfois indirect mais toujours vertueux, avec notre cœur de métier.
  • Assumer la mission d’intérêt général de l’audit : l’audit est un métier au service de l’’intérêt général qui a besoin d’auditeurs compétents et indépendants. Dans le marché actuel de l’audit – un marché dans lequel trop peu d’acteurs aujourd’hui sont capables d’auditer des grandes organisations internationales – cette mission d’intérêt général doit être le fil conducteur.  Un cabinet pluridisciplinaire doit savoir s’interdire de privilégier des missions de conseil qui pourraient laisser des entreprises en pénurie d’auditeurs compétents et de qualité. Mazars ressent vivement le devoir de servir les grandes entreprises, régulées ou non, en besoin d’audit, et cet engagement renouvelé est le seul moyen de grandir en compétences et capacité pour donner au marché le choix dont les organisations ont besoin. Garder la liberté de privilégier une mission d’audit implique une stratégie raisonnée de développement des activités de conseil. Ce principe de liberté et d’indépendance perdure depuis Robert Mazars, notre fondateur.

3. Enfin, il faut penser la pluridisciplinarité comme une stratégie globale et intégrée. Si l’on croit que la pluridisciplinarité est essentielle à la qualité de l’audit et la pérennité du métier, il faut cesser d’opposer stratégiquement les deux faces d’une même pièce. Autrement dit, les cabinets d’audit et de conseil ne doivent pas mener en leur sein deux stratégies séparées, qui nourrissent l’idée d’une incompatibilité, voire d’une compétition entre deux objectifs : protéger l’intérêt général d’une part, et maximiser la valeur pour les actionnaires de l’autre. Cette vision est contre-productive et susceptible d’appauvrir chacun des métiers. Si l’on remet au centre l’intérêt général (créer la confiance des marchés, des consommateurs, des investisseurs) et la valeur apportée à nos clients, aux organisations que nous accompagnons, il faut une stratégie intégrée, complémentaire, fluide, transparente, et vertueuse entre audit et conseil.

En conclusion, Mazars promeut la pluridisciplinarité au bénéfice de l’intérêt général, de celui des organisations que nous accompagnons et de la santé et la pérennité de nos métiers. Cette pluridisciplinarité est vertueuse lorsqu’elle est construite dans une logique d’équilibre.

Notre volonté et vocation d’être un acteur pluridisciplinaire est entière, dans une approche qui fait notre singularité et se veut raisonnée, maîtrisée, équilibrée, responsable et cohérente avec nos valeurs. C’est l’essence même du principe qui fonde Mazars et que nous souhaitons transmettre aux générations futures.

La qualité de l’audit et l’intérêt général ont besoin de pluridisciplinarité : menons les réformes nécessaires à notre profession pour renforcer la dynamique d’un marché en besoin d’auditeurs de qualité.

La Corporte Sustainability Reporting Directive (CSRD), qui modifie les obligations en matière de reporting non-financier inscrites dans la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) a été publiée dans le JOEU le 16 décembre 2022. Pour en savoir plus : L_2022322FR.01001501.xml (europa.eu)

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